Les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont 30 ans et les dents longues. Réorganisation, mise en place d'un système d'évaluation des salariés, etc. : plus aucun projet de l'employeur ne semble devoir échapper à leur vigilance.
Ils sont à l'honneur mercredi 24 et jeudi 25 octobre, dans le cadre de la 9e Semaine pour la qualité de vie au travail, organisée par l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail.
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Créé par la loi du 23 décembre 1982, la dernière des quatre lois Auroux, le CHSCT, instance obligatoire dans les établissements d'au moins 50 salariés, a vu ses pouvoirs et ses moyens s'accroître au fil des ans. Il doit ainsi être consulté dans de très nombreux cas, en particulier avant tout projet "important" affectant les conditions de travail.
Cette montée en puissance des CHSCT en a fait "la bête noire des directions", lance Michèle Rescourio-Gilabert, directeur de projet chez Entreprise et Personnel, une association de grands groupes.
SUSPENSION D'UNE RÉORGANISATION
Pour se faire entendre, ils recourent de plus en plus au juge, et les directions parlent de "judiciarisation" des questions de santé au travail.
Ainsi, et c'est une première, la Cour de cassation a-t-elle décidé le 5 mars 2008, dans l'arrêt Snecma, la suspension d'une réorganisation "de nature à compromettre la santé et la sécurité des salariés". Sur cette base, un CHSCT peut donc agir lors d'un plan social et le bloquer. "L'employeur n'est plus maître en sa demeure", se félicitait, dans son édition de juillet 2008, le magazine Santé et Travail.
Pour en arriver là, la haute juridiction s'était appuyée sur une autre bombe juridique, les arrêts amiante de 2002, qui forgent le concept de l'"obligation de sécurité de résultat" incombant à l'employeur, qui ne peut plus se contenter de répondre à l'obligation de moyens.
"La judiciarisation de la santé au travail découle de ces arrêts marquants et de la montée parallèle de la souffrance au travail, contre laquelle les CHSCT tentent de lutter", constate Jocelyne Chabert, représentante syndicale CGT au CHSCT de General Electric Medical Systems (GEMS) et chargée de mission au département santé-travail de la CGT.
"L'EMPLOYEUR N'EST PAS FORMÉ"
L'obligation, pour l'employeur, de protéger la santé mentale des salariés, qui entre dans le code du travail en 2002, a elle aussi donné un sérieux appui aux CHSCT.
Aujourd'hui, une bonne part des contentieux porte sur l'absence ou l'insuffisance de la consultation du CHSCT. "Souvent, l'employeur n'est pas formé à l'étendue des prérogatives du CHSCT", explique Patrick Oster, inspecteur du travail et représentant syndical SUD, et souhaite que celui-ci ne soit qu'un relais du service sécurité. C'est une grande dérive." Qui peut aussi conduire à saisir le juge.
Mais pour Mme Rescourio-Gilabert, si on en arrive là, "c'est qu'il existe dans l'entreprise un problème de dialogue social, qui vient de la direction comme des syndicats. Pas sûr que le juge puisse résoudre ce blocage".
Autre gros contentieux, le recours à l'expertise, que le CHSCT peut exiger dans certains cas et qui est financée par les entreprises. "Ces expertises coûtent à l'employeur entre 50 000 et 70 000 euros, souligne Mme Rescourio-Gilabert, et elles prennent du temps", ce qui retarde la mise en œuvre du projet.
Si bien que les entreprises les contestent fréquemment. "Mais dans presque tous les cas, la demande d'expertise provient du fait que l'employeur n'a pas assez communiqué sur son projet", estime M. Oster.
PARFOIS, LA MENACE D'UNE ACTION JUDICIAIRE PEUT SUFFIRE
Aller devant la justice, pour un CHSCT, cela prend beaucoup de temps et d'énergie.
"Pour un CHSCT qui va en justice, combien abandonnent ?", demande M. Oster. "C'est le dernier recours, quand une direction ne veut pas entendre nos avis motivés dans une procédure d'information-consultation", juge Mme Chabert, qui pointe l'aspect risqué de la démarche.
Et de citer en exemple l'introduction d'un nouveau système d'évaluation des salariés chez GEMS, incluant des critères comportementaux. Le CHSCT, qui juge ceux-ci illégaux, rend un avis négatif dont la direction ne tient pas compte. Au vu de la jurisprudence sur le sujet, le CHSCT de GEMS et plusieurs syndicats vont en justice. Ils seront déboutés par la cour d'appel de Versailles le 2 octobre.
Parfois, la menace d'une action judiciaire peut suffire. A l'hiver 2010, dans une chaîne de magasins de vente de matériaux pour le bâtiment, un plan antifroid – qui prévoit davantage de pauses, la distribution d'un sandwich à 10 heures... – est mis au point avec le CHSCT.
"Les directeurs de magasin appliquaient ce plan selon leur bon vouloir", observe Philippe Morandi, élu CFTC au CHSCT qui décide d'agir en référé et prépare une requête, "la direction a immédiatement réagi en rappelant que le plan s'imposait partout".