du PK195, Pierre-Paul Riquet, un homme surprenant bien avant Napoléon Bonaparte, lui-aussi...
« Monseigneur,
Je vous escrivis de Perpinian le XXVIII du mois dernier au subject de la ferme des gabelles du Rouissillhon et aujourd’huy
je fais mesme chose de ce village, mais sur un subject bien esloigné de cette matière là. C’est sur celle du dessein d’un canal qui pourroit se faire dans cette province du Languedoc pour la
communication des deux mers Océane et Méditerranée, vous vous estonnerés Monseigneur que j’entreprenne de vous parler d’une chose qu’apparemment je ne cognois pas et qu’un homme de gabelle se
mesle de nivellage…
Mais vous excuserez mon entreprise lors que vous saurés que c’est de l’ordre de monseigneur l’archevesque de Tolose que je
vous écris. Il y a quelque temps que ledit seigneur me fit l’honneur de venir en ce lieu, soit à cause que je luy suis voisin et omager ou pour savoir de moi les moyens de fere ce canal, car il
avoit ouy dire que j’en avoit faict une estude particulière, je luy dis ce que j’en savois et luy promis de l’aller voir à Castres à mon retour de Perpinian, et de le mener sur les lieux pour
lui en fere voir la possibilité.
Je l’ay fait, et ledit seigneur en compagnie de Monsieur l’évesque de Saint-papoul et de plusieurs autres personnes de
condition a esté visiter toutes choses qui s’estant trouvées comme je les avois dites, ledit seigneur archevesque m’a chargé d’en dresser une rellation et de vous l’envoyer, elle est icy
incluse mais en assez mauvais ordre, car, n’entendant ni grec ni latin et à peyne sachant parler françois, il ne m’est possible que je m’explique sans bégayer ; aussi ce que j’entreprens
est par ordre et pour obéyr et non pas de mon mouvement propre.
Touttesfoix Monseigneur s’il vous plaic de vous donner la peine de lire ma rellation vous jugerés qu’il est vray que ce
canal est faisable, qu’il est à la vérité difficille à cauze du coust mais que regardant le bien qui doibt en arriver l’on doibt fere peu de concidération de la despence. Le feu roy henry
quatriesme ayeul de notre Monarque désira passionnement de fere cet ouvrage, feu Monsieur le Cardinal de Joyeuse avoit commansé d’y fere travailler et feu Monsieur le Cardinal de Richelieu en
souhaitoit l’achèvement, l’histoire de France, le recueil des œuvres dudit Cardinal de Joyeuse et plusieurs autres éscrits justiffient cette vérité ; mais jusques à ce jour l’on n’avoit
pas pansé aux rivières propres à servir ni sceu trouver de routtes aizées pour ce canal, car celles qu’on s’estoit alors imaginées estoient avec des obstacles insurmontables de rétrogradation
de rivières et de machines pour élever les eaux.
Aussi je crois que ces difficultés ont tousjours cauzés le dégoût et recullé l’exécution de l’ouvrage mais aujourd’huy
Monseigneur, qu’on trouve de routtes aizées et de rivières quy peuvent estre facillement destournées de leur anciens lits et conduites dans ce nouveau canal par pente naturelle et de leur
propre inclination, touttes difficultés cesent, excepté celle de trouver un fond pour servir aux frais du travail.
Vous avez pour cela mille moyens Monseigneur, et je vous en présente encore deux dans un mien memoire cy-joint afin de vous
porter plus de considérer que la facilité et l’assurance de cette nouvelle navigation fera que les destroits de Gilbratar cessera d’estre un passage absolument nécessaire, que les revenus du
Roy d’Espaigne à Cadix en seroit diminués et que ceux de notre Roy augmanteront d’aultant sur les fermes des entrées et sorties des marchandises en ce royaume, oultre les droicts qui se
prendront sur ledit canal qui monteront à des sommes immenses, et que les subjects de sa Majesté en general proffiteront de mille nouveaux commerces et tireront de grands avantages de cette
navigation, que sy j’aprans que ce dessein vous doibve plaire je vous l’envoyeré avec le nombre des ecluses qu’il conviendra fere et un calcul exact des toises dudit canal, soit en longueur
soit en largeur. »