Dominique Volton, Indiscipliné. 35 ans de recherches : écouté sur France Info, passionnant et tellement d'actualité...
Comment communiquer les uns avec les autres ?
Dominique Wolton est l’invité de l’émission Info sciences, animée par Marie-Odile Monchicourt sur France Info, tous les mardis de cet été.
Indiscipliné. 35 ans de recherches, Odile Jacob, 2012
En 35 ans, Dominique Wolton a travaillé sur 10 domaines de recherche qui éclairent l’avenir. L’individu et le couple ; le travail ; les médias ; l’espace public et la communication politique ; l’information et le journalisme ; Internet ; l’Europe ; la diversité culturelle et la mondialisation ; les rapports sciences-techniques-société ; connaissance et communication. Tous ces thèmes, au cœur des débats contemporains, il les a le plus souvent abordés à contre-courant des idées du moment, témoignant de sa lucidité et de son intuition.
Ses recherches contribuent notamment à valoriser une conception originale de la communication qui privilégie l’homme et la démocratie plutôt que la technique et l’économie. Avec cette question fondamentale : comment cohabiter pacifiquement avec l’autre, aujourd’hui si proche grâce à la multitude des techniques, mais toujours aussi éloigné ? En repensant les rapports entre l’individu et le collectif, entre le même et le différent, il renouvelle la pensée politique à l’heure de la communication omniprésente.
« Pourquoi ce titre Indiscipliné ? Parce qu’un chercheur l’est finalement toujours, sinon comment pourrait-il penser différemment dans un monde en ordre ? Parce que le premier numéro de la revue que j’avais créée en arrivant au CNRS en 1981, Les Cahiers STS, s’appelait Indisciplines. Parce que la communication est une activité tellement complexe qu’elle dépasse fréquemment l’interdisciplinarité, pour rejoindre l’indisciplinarité, et le plus souvent, là aussi, l’indiscipline... »
« La communication est sans doute l’une des plus grandes révolutions des XXe et XXIesiècles. Elle a bouleversé nos existences et la société, rendant possible le monde ouvert dans lequel nous vivons aujourd’hui. Avec toujours un double aspect. Une dimension culturelle, la plus importante, où la communication est fille de la liberté. C’est parce qu’existe depuis trois siècles cette revendication ininterrompue de liberté individuelle et collective qu’il y a cette recherche de la communication. C’est parce que les hommes veulent être libres qu’ils veulent s’exprimer, échanger, partager, communiquer. Fantastique révolution anthropologique dont nous mesurons mal l’importance politique tant, pendant des siècles, l’inégalité entre les individus, les classes et les castes interdisait la liberté de communiquer, la réduisant à une simple transmission hiérarchique. Communiquer entre individus libres et égaux, comme nous l’entendons aujourd’hui, est un acquis extrêmement récent et fragile dans l’histoire de l’humanité. Le second aspect, tellement complémentaire, est le fantastique progrès des techniques qui a permis la conquête du monde, réduit les distances, augmenté les échanges, permettant finalement aux hommes d’être aujourd’hui instantanément interconnectés. »
« J’aurai finalement consacré ma vie scientifique à valoriser le concept de communication, pour moi inséparable de tous les mouvements d’émancipation depuis trois siècles. Comment chérir la liberté, l’égalité et la fraternité sans voir le lien ontologique de ces valeurs avec la communication ? Comment revendiquer et se battre pour les droits de l’homme sans réaliser qu’ils sont inséparables de ce concept ? Comment se préparer à vivre dans un monde ouvert et « transparent » où tout ne sera qu’« échanges » sans réaliser que la question de la communication y sera centrale pour la paix et la guerre, car il faudra bien que cohabitent pacifiquement tous ceux qui ne se ressemblent, ni ne se comprennent.
C’est la raison pour laquelle je me suis toujours intéressé au décalage existant entre la place considérable qu’occupe la communication dans nos vies privées, comme dans le fonctionnement des sociétés et le fait qu’elle soit le plus souvent sous-valorisée, voire dévalorisée. Tout le monde la cherche tout en la tournant en dérision. Et ce dans bien des cultures, en tout cas dans la culture occidentale. Pourquoi ? Parce que tout le monde souhaite communiquer et en rencontre très rapidement les limites. C’est peut-être cette difficulté humaine à communiquer qui explique la faible légitimité qui l’entoure. D’autant que si les êtres humains sont souvent « décevants », il n’en va pas de même pour les techniques de communication. Elles sont au contraire parfaites, efficaces, fiables, jamais décevantes… Dans ce décalage réside peut-être la réponse à la question suivante : pourquoi les hommes dévaluent-ils sans cesse la communication humaine, souvent considérée comme dérisoire, manipulatrice, marchande, etc., tout en glorifiant les techniques qui n’en sont pourtant que des prothèses partielles et inachevées ? Les hommes déçoivent, pas les techniques. Pourquoi tant de naïveté à croire que la communication par les techniques sera plus efficace que celle recherchée dans les rapports humains ?
C’est pour toutes ces raisons que trente-cinq années de travail (1975-2010) ont été consacrées à des recherches sur la communication dans la société actuelle, avec cette conclusion simple. Le plus facile dans la communication relève de la technique – c’est pourquoi nous la chérissons ; le plus compliqué concerne les hommes, les sociétés et les cultures – c’est pourquoi nous nous en méfions. J’ai donc toujours privilégié, dans la communication, une approche humaine et politique, plutôt que technique et économique. »